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31 mai 2011

Le jardin

il faut désherber l'allée qui longe le lot de jardin qui nous revient. Nous sommes plusieurs familles à y travailler. À genou, j'arrache les mauvaises herbes et émiette les mottes de terre dans mes doigts. Je m'oublie dans cette tâche, ça prend du temps comme j'aime. Mais arrive un doute et si j'étais trop lente? Une femme vient avec sa pelle, je recule, en quelques gestes l'allée est toute retournée il n'y a plus qu'à retirer les petites plantes improductives. Je comprend l'idée de la moyenne de temps socialement acceptable.

16 mars 2011

Camouflage

Il est à la caisse. Je ne sais pas ce qu'il vient d'acheter disons quelque chose de coûteux qui nécessite l'impression en A4 (il est en France) d'une facture en bonne et due forme comme on dit là-bas. Pendant qu'on met les formes à s'occuper de lui, il attend seul à la caisse accoudé au comptoir autorisé à ne rien faire juste divaguer du regard curieux. Justement à ses côtés il y a un panier avec de drôles de balles dans des couleurs pâtissières. Leur matière lisse un peu gonflée appelle une prise ferme qui veut les faire rebondir. Il aime jouer. De sa main droite proche du panier il fait son choix et pogne sans appel la balle rose. Stupeur. La chose n'est pas une balle, elle s'écrase s'émiette dans son poing qu'il ouvre doucement au ras du panier pour reposer le gâteau précieux écrapou l'air de rien. Il tourne la tête à gauche ne bouge plus et attend son du. Il ajoute à la catégorie «pâtisseries de couleur» l'objet macaron dont la mode n'avait pas encore rejoint le Québec où il vit habituellement.

10 mars 2011

Lunch d'appoint

Il se stationne devant la bâtisse à l'heure du lunch. Il ouvre le haillon latéral de son petit camion chromé. Là tout est bien rangé, tout est plastifié, des Joe louis, des cookies aux pépites, toutes sortes de pépites et des noix qui bossellent sous le plastique la surface des biscuits. Du café aussi, du salé, des chips, des sandwichs coupés en deux, servis avec un petit cassot de salade de choux, emballés dans du film transparent sur une barquette en styrofoam. Il range un peu quand je sors sous le grésil, le crissement du plastique sous ses mains rapides. Il s'affaire, il fume en travaillant. Un homme vieux vaguement édenté, blouse banche sur tenue défraîchie, lui parle la tête penchée tout près de lui dans son dos. J'entends l'homme du camion lui répondre «so you will pay me next week ? sure ?». Je ne m'arrête pas pour un café je marche jusqu'à l'escalier métallique qui me fera changer de niveau, marcher sur l'échangeur une dizaine de mètres, avant de redescendre pour rejoindre la rue de Gaspé et le café des japonaises.

2 mars 2011

Nous mangions

Nous courrions j'imagine que nous courrions. C'était l'été il faisait chaud, les mouches collaient, les poules caquetaient, les guêpes piquaient parfois, les vaches meuglaient et nous courrions. Quand nous étions sur les routes et que la faim nous saisissait dans le temps étiré d'une promenade un peu trop longue, nous arrachions des épis de blé. Sans s'arrêter décortiquer et saisir de nos doigts poussiéreux les graines du pain. Si tu mâches ça fait comme un chewing gum. Alors ça passait alors ça suffisait cette liberté cette solitude d'enfants. Quand plutôt que sur la route nous nous trouvions dans son périmètre, dans sa cour, traînant devant sa porte, la grand-mère nous attrapait avec sur une assiette d'énormes tartines de rillettes. Sa main m'attrapait l'épaule pour me tourner vers ce goûter que je n'aimais pas. C'était salé, c'était gras au plus loin que mes dents s'enfonçaient c'était gras mou et salé. Le pain avait une mie blanche très douce de campagne salée elle-aussi avec des cratères de bulles que la cuisson avait fait éclater. La croûte dorée était élastique, tu pouvais tirer ta bouche d'un côté que la tartine s'allongeait de l'autre sans céder. J'aurais voulu aimer mais je voulais du sucré du goûter comme en ville. Tandis que je chipotais je sens encore le coin de l'œil de ma grand-mère qui m'observait. Elle finissait par se remettre au travail, on ne peut pas trop flâner, alors je choisissais le plus petit de mes cousins pour manger mon pain.

23 février 2011

Nouvelle Orléans 3 - Les réfugiés

Nous regardons les quatre volets de la série documentaire de Spike Lee, When the levees broke sur le passage de l'ouragan Katrina et l'inondation massive de la Nouvelle Orléans. Sur l'abandon des corps, des vivants entassés et des morts gonflés d'eau; sur les corps blancs irrémédiablement séparés des corps noirs, fracture toujours encore là, toujours encore qui départage l'espace politique américain; sur le scandale de la gestion de cette crise, l'arrogance des organismes fédéraux, de Bush, de la FEMA (Federal Emergency Management Agency). Au milieu de toute cette révolte, une révolte un peu plus précise se formule qui accroche bute sur un mot : «refugees». Ça ne passe pas. Ils ont subi Katrina, ils ont perdu, on ne peut pas énumérer tout ce qu'ils ont perdu, mais quand ils ont commencé à sortir de Louisianne, qu'ils sont arrivés par avion, par bus là où on les envoyait partout aux États-Unis (dans 18 états) et qu'on les a appelés des réfugiés, ça n'est pas passé. Comme si tout à coup ils étaient devenus apatrides en leur propre pays, que l'eau avait aussi emporté cela, leur citoyenneté et qu'ils ne constituaient plus que des poches d'extérieur trouant le confort du homeland américain.

14 février 2011

La circulaire

Ça revient régulièrement, je peux prévoir dans l'entrevue le moment de son évocation, quand on dit : «Je fais mon épicerie en courant les spéciaux de la circulaire». Parfois le mot s'oublie, suspendu on cherche « vous savez le... la... ahhhh oui la... attendez la circulaire, oui c'est ça ». La circulaire désigne plusieurs feuillets brochés ensemble qui impriment la photo des produits de la semaine qu'une épicerie mets en spécial. Un journal des affaires. Les oranges de Californie à 2,99$ les 12. On l'attrape à l'entrée des supermarchés, elle est aussi distribuée en paquet dans des publisacs à nos portes. Pourquoi circulaire ? Ce journal fait courir ceux dont le budget est assez serré pour compter sur un rabais de 75 sous la livre. Parce qu'elle parle de façon imagée de la circulation des biens, de la fluctuation des valeurs, d'une politique de prix. À partir de ces feuillets s'initie des circuits ; on fait les spéciaux de Métro, de l'IGA, des 4 Frères, du Super c... Les circuits d'une alimentation au rabais.

12 février 2011

Nouvelle Orléans 2

Quand je tombe enfin sur le Mid-City Green Market, mon image « marché » s'ajuste mal à ce qui se présente à moi; si j'associe le marché plutôt à une rencontre particulière dans la proximité avec des matières brutes et les gens qui les produisent, une relation villageoise au commerce, ce marché là est bien différent. Tout petit, pas plus de six ou sept stands, à peine installé sur le parking d'un centre commercial, fragile et mal à l'aise. Quelques tables, un parasol, un peu plus loin un van au coffre ouvert sur le haillon duquel on a disposé quelques produits, là par terre, des salades, et tout autour une marée de voitures. Les stands offrent surtout des produits transformés, du pesto, du miel, des sauces ou distribuent sur des petites tables branlantes des prospectus pour un monde meilleur, vert, solidaire, américain. Une dizaine de personnes sont déjà là, circulant vaguement ou en position d'attente, beaucoup de femmes noires, dans les mains des chèques ou des grosses pièces rondes en carton bouilli, un air habitué et distant. Je m'arrête devant une table d'oranges et de mandarines, les étiquettes sur les filets indiquent que les fruits viennent de Louisiane. Il fait chaud, j'ai très soif, je me poste devant la table aux côtés d'une femme d'une cinquantaine d'années qui tripote dans ces mains les mêmes pièces alternatives; elle tient aussi ce qui ressemble à des chèques de grande taille estampillés Supplemental Nutrition Assistance Program (SNAP). Il s'agit de food stamps,les pièces étant leurs dérivés en petit change, les fameux coupons alimentaires américains dont l'usage a explosé ces dernières années. Nous attendons face à l'homme derrière la table, il ne nous regarde ni nous sert. Le calme de la femme m'incite à la patience... Mais comme c'est long... je demande enfin à l'homme pourquoi cette attente. Il m'indique l'heure à son poignet, 14h50, le marché n'ouvre qu'à 15h00. Avant cette heure, il n'a pas le droit de vendre.