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5 mai 2010

La reprise

Je pars de loin pour y aller et je n'y vais pour l'instant qu'une fois par semaine, ma rentrée hebdomadaire le ventre noué. J'y retourne demain. Les deux dernières fois, le 16 avril et la semaine suivante, je me suis enregistrée sur le chemin de l'aller et du retour. Je réécoute ce soir les enregistrements pour retranscrire ma voix que je trouve étonnamment posée comme peut l'être sans doute une voix que personne n'écoute. J'aime le bruit des essuies-glaces et du clignotant qui dominent. Ils sont les signes d'un corps qui ne fait pas que dire, ils libèrent la voix de cette assignation à se faire écouter, ils la déplacent. Je comprend mieux pourquoi j'aime le cinéma à la radio : les voix n'y sont pas là que pour ça, n'y sont pas là seules, on entend les gestes.
Je m'intéressais à la réflexivité du chercheur et j'en reviens, je vois bien ce qu'on y perd en croyant y gagner : du moi sur du moi et pendant ce temps là le monde tourne; à la rigueur s'intéresser à la réflexivité du chercheur sur ses outils et sur les normes qui en conditionnent l'usage. Je me suis enregistrée comme on s'achète un moleskine avant un voyage, en prévision d'y prendre des notes ou dessiner. Je ne saurais sans doute pas quoi faire de ces traces.
Je désespère parfois de l'artificialité de la recherche et des tics méthodologiques qu'on lui donne qui lui gonflent le jabot. Je voudrais plus m'abandonner et oublier mes objectifs. Je voudrais ne rien chercher.
La dernière fois que je suis allée à la banque alimentaire, c'était un jour de printemps, à la pause et au dîner les gens fumaient dehors assis sur les marches. Je ne peux pas résister à des gens qui vont s'assoir fumer au soleil. J'ai pris mon café et je suis sortie aussi. Ceux qui vont dehors se dégagent de l'hiver des cadences et du pointage, ils s'autorisent à sortir de la bâtisse de sa protection de son emprise. Je suis sûre qu'à la fin de l'été ils seront plus nombreux, plus dehors que dedans.
Il y a un groupe d'hommes assis sur la margelle du trottoir en face de la porte du réfectoire, avec un homme debout devant eux, celui qui vient du Pérou. Il leur raconte quelque chose et il s'agite beaucoup. La responsable des « dons qui rentrent », une mexicaine vive et autoritaire, s'assoit à côté de moi sur les marches entre le réfectoire et le parking et me sous-titre la scène : quand ils commencent avec la politique moi je m'en vais. Il adore la politique (elle le désigne), il était journaliste dans son pays. Ça ne m'étonne pas. Il travaille à l'entrepôt et passe de longs moments au bureau sur l'ordinateur. Je sais par elle qu'il a commencé comme bénévole et qu'il est maintenant employé, comme elle. Qu'il a travaillé fort pour cela, qu'il bénéficie pour compenser la faiblesse du salaire d'une aide alimentaire hebdomadaire. Elle m'a raconté cela ce matin. Je rentrais des coordonnées dans la base de données et je lui ai posé une question, une question bébête pour amorcer la discussion. Elle ne s'est pas fait prier : tu as déjà visité l'entrepôt ? Non je réponds même si oui. Elle a réfléchi une seconde avant de m'entraîner : bon viens avec moi. Je raconterai la prochaine fois cette visite, là elle s'en va et je reste assise à côté d'une femme qui me plaît bien. Elle doit avoir cinquante ans, les cheveux presque blancs, elle fume et on voit qu'elle n'a pas que ça, elle se tient. Elle me sourit et assez vite nous parlons. Elle accompagne un groupe, je ne sais plus comment elle le qualifie mais je l'ai vue avec eux : ils forment un groupe à la fois homogène de déficience mentale et hétérogène de gens très singuliers. Elles les accompagne au triage, ils viennent ici régulièrement pour s'occuper à quelque chose qui a un sens et soulager les familles, m'explique-t-elle. Elle reconnait que oui la tâche est fatigante, l'humidité et la station debout. Qu'elle ne reviendra probablement pas, elle remplace quelqu'un (éducatrice, aide-soignante?). On échange nos prénoms et je retourne au bureau.

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