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27 mai 2010

Le tri des fruits

Les poires c'est fragile alors quand des palettes de poires arrivent qui sont déjà des fruits que les épiceries ne veulent plus, il ne faut pas les faire attendre.
Il y a, à un endroit de l'entrepôt, une sorte de comptoir assez large séparé en son milieu et sur sa longueur par une étagère. On peut s'y mettre à trois de chaque côté et face à face. Une des extrémités du comptoir est fermée par une benne qui reçoit les fruits pourris. Les fruits pourris de la benne sont achetés par un agriculteur qui en fait son compost. Il vient le chercher une fois par semaine. L'été une semaine c'est long dans la chaleur sous la tôle de l'entrepôt. Je suis au tri ce matin là. Je porte des gants en caoutchouc comme les infirmières pour les soins, un tablier en plastique jetable. Je suis installée proche de le benne. Je prend un carton de poires derrière moi; dans le carton il y un sac en pastique et à l'intérieur les fruits en vrac; je renverse le carton; je vide les poires devant moi; je jette le sac dans le sac poubelle accroché sous le comptoir, à mes pieds; je tasse le carton à ma droite, il recueillera les bons fruits et à ma gauche je balance ceux que personne ne voudrait. Il faut faire vite, il y a deux palettes de cartons. Mais les consignes sont contradictoires : il faut à la fois ne pas gâcher, tout en ne compromettant pas le stock avec des fruits douteux, « sauver le plus possible » ≠ « ne pas laisser passer de fruits abîmés ». Certains cartons sont remplis de fruits blettes, je sauve difficilement deux, trois poires. D'autres sont mieux préservés. Il faut alors juger, trier et le faire vite avec les autres en face et à côté qui font la même chose. Les yeux ne suffisent pas il faut avec les doigts tester la résistance de la chair et de la peau ; si un pouce s'enfonce, que la peau risque de percer, on balance. Il arrive que le fruit soit beau sauf à un endroit que mon pouce détecte et du bout de l'ongle je craque la peau. À la maison je prendrais mon couteau pour escamoter le doute et manger le reste. Ici je suis partagée. Est-ce que je sauve le plus possible ou je trie le mieux possible ? Est-ce qu'on peut parler de gâchis quand les biens gérés sont déjà au rebut? Jusqu'où faire porter sur le dos du dernier maillon de la chaîne, la responsabilité de ne rien perdre de ce que le système rejette (après l'avoir produit). Soit comment ne rien perdre de ce qui est perdu. Considérant que les fruits jetés à ma gauche sont rachetés par un fermier qui en fait son compost, et qu'au final plus rien ne se perd plus, je décide de remplir mes cartons avec des fruits très beaux qui pourront faire encore envie. Je m'absorbe à maintenir ce cap dans le renouvellement permanent du choix, je ne vois plus les cartons défiler.

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