16 septembre 2010
La marchande
Elle cherche fébrilement sur une liste le prix des poivrons. Sa vue doit se brouiller, parce qu'elle s'y reprend à plusieurs fois pour suivre la ligne jusqu'à son bout en dollars. Il est déjà 11h30, elle a une demi heure de retard sur l'horaire prévu, elle stresse. Moi aussi de la voir mais ça me regarde moins, je donne juste un coup de main. Des clients approchent qu'on renvoie « venez dans dix minutes ». J'inscris des prix sur des étiquettes, pèse des légumes pour fixer à partir du prix en livres, le prix à l'unité. La jeune fille que j'aide me demande souvent « ça va , c'est pas trop cher ? ». Je lève le nez au ciel et répond en général à l'aveugle «non non c'est bien». Quelque fois, je baisse un peu le prix. Il ne faut pas vendre à perte mais ça ne sert à rien de se retrouver avec le stock sur les bras en fin de journée qui sera donné à un autre organisme communautaire. Ce marché ponctuel est implanté dans une sorte de HLM privé et participe d'un projet plus large de revitalisation. Les clients sont des résidents du coin, drôle de coin. On m'a dit que le propriétaire envoyait à l'aéroport des rabatteurs pour orienter des nouveaux arrivants vers ces logements misérables. La plupart des gens ne restent pas longtemps, dés qu'ils connaissent mieux la ville ou après avoir trouvé un emploi, ils choisissent une meilleure place où vivre. Quand enfin nous sommes prêtes, des femmes approchent, des enfants dans leurs jambes. On note sur une « fiche facture » chacun des produits que choisissent les clients et à la fin on remet la facture à une des deux travailleuses sociales responsables assise derrière la calculatrice. Elle fait le total et encaisse. J'accompagne une dame qui compte et recompte son change recalculant rapidement les combinaisons de légumes qu'elle pourrait se permettre. Il lui manque 25 cents pour acheter trois aubergines et un chou vert. Je décide que le chou vert convoité est abîmé et qu'une ristourne de 25 cents s'impose. La « marchande » à la calculatrice me dit sur un ton mystérieux «attention quand même, connaissant les patrons, le prix c'est le prix ». Il y a trop de monde soudain et j'oublie de lui demander qui sont ces patrons.
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